Avec cette petite série en 7 volets, l’équipe Story Lab partage l’expertise de ses journalistes American-trained – et comment l’appliquer au monde de la communication. Oh, et please pardon the franglais !
1. Sweat the Lead
Comme le conseillait un jour un vieux rédac-chef bougon à un jeune journaliste enthousiaste : il faut toujours, mais alors là toujours « sweat the lead ». [Prononcer : souette ze lide…]
Derrière cette expression imagée, une idée forte : pas de bonne intro sans sueur.
Ces mots du vénérable éditeur, notre fougueux reporter ne les oubliera jamais. Qu’importe ce que l’on écrit, corrige, produit, etc., la règle n°1, c’est de soigner son intro. Une maxime valable pour les news comme pour la com’ : quelle que soit l’audience, c’est la première impression qui compte, d’où l’importance de savoir capter l’attention du lecteur dès les premiers instants.
Bien sûr, il n’y a pas de formule magique pour écrire ledit « lead », ni de raccourci pour en pondre un miraculeusement lorsque la deadline se fait menaçante. C’est là que la sueur entre en jeu : lorsqu’on bûche d’arrache-pied – et sous pression – la transpiration peut alors se faire inspiration… Et ça, c’est sweat !
2. Audience Matters (the Ham Sandwich rule)
Quand Brian Chen, journaliste du New York Times spécialisé dans les technologies, se lance dans un article sur la 5G, il est conscient que quelques uns des abonnés du Times en savent autant (ou plus) que lui sur le fonctionnement de cette technologie ; mais il sait aussi que la plupart de ses lecteurs seraient bien en peine d’expliquer la différence entre la 5G et un sandwich jambon-beurre.
Mais si Brian écrivait un article sur le même sujet pour une publication spécialisée, le résultat serait très différent : *hello* vocabulaires techniques, études et analyses en profondeur des acteurs, et *goodbye* concepts de base qui expliquent ce qu’est la 5G et en quoi elle n’a rien à voir avec… un jambon-beurre !
Cette approche est essentielle pour le #journalisme comme pour la production de contenu corporate. A tout moment avoir en tête pour qui on écrit : des consommateurs ou des experts ? « B2C » ou « B2B » ? De nouveaux lecteurs ou des lecteurs fidèles ?
Dans tous les cas, cela ne fait que confirmer cette règle : plus on connaît ses lecteurs, plus on est à même d’écrire l’article dont ils ont besoin… Pour un rédacteur c’est un peu comme “avoir le beurre et l’argent du jambon-beurre !”
3. Check your facts (3x)
Washington, 1972. Bob Woodward et Carl Bernstein tiennent le “scoop” du siècle. C’est le Watergate, ce scandale qui finira par faire tomber le président Richard Nixon. Mais pour Ben Bradlee, légendaire directeur du Washington Post, ses journalistes ont encore du pain sur la planche : vérifier leurs informations, non pas une, mais encore *deux* fois !
Les propos rapportés par les deux journalistes, corroborés par des sources de premier plan, l’étaient presque toujours en “off”. Les sources anonymes sont souvent nécessaires dans ce genre d’articles d’investigation, mais Bradlee savait qu’il fallait impérativement tout recouper. Sa règle ? Chaque révélation sensible doit obligatoirement être confirmée par trois sources différentes.
La règle dite du “Check your facts 3x” est éminemment nécessaire pour traiter une affaire d’Etat. En réalité, on devrait la mettre en pratique pour toute information, qu’il s’agisse des chiffres d’un papier ou de l’orthographe d’un CP. L’exactitude est la première des conditions à la crédibilité. Or la crédibilité, c’est LA ressource la plus précieuse dans notre société de l’information.
4. Skip The $100 Words
Paradoxalement, l’une des pratiques les plus hautement discutables de la vénérable profession de journaliste, c’est cette propension, que d’aucuns qualifieraient d’inopportune, à employer, vous l’aurez pressenti, de grands mots.
Le travail du journaliste, c’est, avant tout, d’informer — pas de proposer une partie de Scrabble à ses lecteurs. A propos des tournures inutilement alambiquées, Hemingway parlait des « mots à $10 ». Pour le titre de ce post, nous avons ajusté ce prix en fonction de l’inflation.
Entre des journalistes volontaires mais peu expérimentés galvanisés par le thésaurus, certains qui reproduisent mécaniquement les jargons des experts et ceux qui peuvent exceller en matière de circonvolutions, l’écriture ne rend pas toujours service à la clarté de l’information.
« Skip The $100 Words. »
“Skip The $100 Words.” Comme le dirait un rédac-chef ronchon : “aux grands mots… les grands maux.” Perdre l’attention de son lecteur, c’est avoir raté l’objectif que l’on s’assigne pour chaque papier : transmettre, médier. Quel que soit le contexte, le format ou le support, penser à la réception du message par ses lecteurs vaut bien une partie de Scrabble, indeed.
5. Talk to the gravedigger
Métro / boulot / dodo : des temps de la journée a priori bien délimités…
Pas tant que ça ? C’est ce que suggéra un jour le sage éditeur d’un quotidien californien à un jeune reporter impressionnable : « Tu devrais essayer de changer d’itinéraire quand tu viens au bureau… Bousculer ses habitudes, ça aide à voir les choses autrement ».
Un conseil que notre journaliste en herbe gardera toujours en tête : qu’importe le sujet, prendre des chemins détournés c’est encore la meilleure façon de dénicher un angle original. A fortiori quand on n’est pas seul sur l’affaire…
Pour preuve, l’exemple du journaliste new-yorkais Jimmy Breslin, appelé à couvrir (tout comme des centaines de confrères !) les funérailles de JFK en 1963. Plutôt que de parler à la famille ou aux politiciens présents, Breslin choisit de faire un pas de côté et d’aller poser ses questions à Clifton Pollard, chargé de creuser la tombe du président assassiné.
Résultat : son article pour le New York Herald Tribune sort du lot, et 60 ans plus tard, reste un classique du #journalisme américain.
“Talk to the gravedigger”, parler au croque-mort… Une phrase choc pour se souvenir qu’en tout lieu il est bon d’ouvrir ses horizons, varier ses mots-clés – bref, de sortir des sentiers battus, si l’on veut éviter les écueils d’une écriture en pilote automatique !
6. Cut the fat
Un bon article, tout journaliste digne de ce nom le sait, c’est comme un intérieur scandinave : fonctionnel, agréable et – avant tout – épuré. C’est en se concentrant sur la substantifique moelle que l’on attire (et conserve !) l’attention du lecteur.
Prenez par exemple cette courte phrase, extraite d’un article récent de CNN : « Des scientifiques établissent un lien entre vulgarité et honnêteté ». Un mauvais journaliste aurait pu être tenté d’ajouter 50 signes pour dire à peu près la même chose : « Les résultats de la communauté scientifique semblent indiquer que les personnes proférant des injures seraient moins enclines à mentir que d’autres »…
“Cut the fat.” Tailler dans le gras. Une règle qui s’applique à l’édito comme au #marketing : si votre pitch de vente, votre *mission statement* ou votre article Linkedin commence à prendre des airs de conversation de boudoir, vos lecteurs risquent de s’enfuir à toutes jambes.
Au passage, profitons-en pour tirer la sonnette d’alarme en cas d’utilisation d’adjectifs superflus (« des plans futurs »), d’adverbes redondants (« … ont examiné attentivement »), ou de phrases à rallonge là où un simple mot ferait l’affaire. CUT!
7. Finish Strong!
Il y a 1001 façons d’aborder ce que l’on écrit. Mais il est toujours utile d’y penser en termes de début, milieu et fin :
- Commencer par attirer l’attention et plonger dans le vif du sujet
- Construire et soutenir son propos (en gardant ladite attention !) dans le corps du contenu
- Finir en laissant le lecteur sur une touche mémorable.
A l’Associated Press on finit presque toujours par une citation. Les hebdos, quant à eux, ont tendance à terminer par un *kicker* plus court, plus *punchy*… Pour tout contenu digital, c’est la meilleure occasion d’amener le lecteur à partager, commenter, s’abonner, etc.
Mais la conclusion, ce n’est pas juste une histoire de best practices et de taux d’engagement : c’est surtout le moment de briller pour que l’on se souvienne de vous – en bien !
Et quand il est question de finir en beauté, ce n’est pas à l’expertise d’un journaliste américain que nous nous en remettons, cette fois-ci… En bon spécialiste, nous laissons le dernier mot au *real-time, free-flowing writer-for-hire* le plus célèbre de l’histoire, le vrai, l’original, l’unique Cyrano : « à la fin de l’envoi, je touche ! »